__ Quel a été le point de départ de la création?
J’ai choisi pour l’exposition Aterrir de prendre pour point de départ l’utopie sociale du Val Menier dans toute la culture ouvrière qu’elle revêt. Ma première intuition était de voir comment les histoires se tissaient tout autour. Comment elles pouvaient directement ou indirectement être héritières du patrimoine ouvrier ? Quels pouvaient être les liens de passations et de métissage entre les communautés laborieuses, travailleuses, affectives, spirituelles, contemporaines et passées de Noisiel, leurs traditions, leurs coutumes, leurs objets, leurs mémoires.
J’ai mené mes enquêtes de manière fortuite et intuitive en m’intéressant de près à ce que pouvait signifier la notion très vaste de « territoire », et celle de « communauté », dans les imaginaires collectifs et dans les expériences qui composent le tissu social de Noisiel, en regard notamment des mutations urbaines qui découlent du Val Menier. Je me suis donc intéressée à la Terre comme un territoire lié aux présences, aux mouvements, aux migrations, aux occupations, aux sols.
J’avais envie de voir quelles histoires formelles pouvaient être matérialisées dans des objets, à l’intérieur de ces mailles complexes et de tous les récits qui s’y croisent, en allant à la rencontre des personnes qui occupent le territoire à ce moment-là. De cette manière mon intuition était celle de croiser des objets de paroles et d’esprit, de culture et de tradition ouvrière et spirituelle, d’un côté les objets parlants, de l’autre les objets votifs.
__ Comment s’est fait le choix des objets ?
Les objets que je présente parlent de manières de faire, d’artisanat, d’art, de bricolage, et qui font écho à ces pratiques ou à ces mélanges (la poterie, la broderie, la bijouterie, la couture…) et à la manière dont celles-ci sont importées, exportées, et peuvent être intentionnellement revisitées.
Je cherchais à matérialiser quelque chose qui se situeraient entre le manufacturé, l’industriel, et l’objet de fortune, soit comme un gri-gri fait maison, soit comme un objet recyclé, reproduit, ou façonné à la main, à la manière dont on tisse aussi des relations.
Les formes me sont en parties venues des rencontres. Il y a à Noisiel énormément de femmes, de mères, de sœurs, et je me suis aperçue très vite qu’au sein du projet social Menier les femmes étaient très peu présentées alors qu’elles y jouaient un rôle essentiel. Pour cette raison les objets découlent pour la plupart de conversations entre femmes et représentent pour beaucoup leurs mains, rappelant que les pratiques mobilisées sont généralement associées à des « qualités féminines », comme la cuisine, la poterie, la broderie, la couture…
__ Quels ont été vos points d’entrée, justement, pour mobiliser cette population locale ?
Comme très souvent quand je fais de la recherche, je me suis rendue au marché. C’est un endroit clé, c’est le miroir foisonnant d’un territoire ; on y croise des personnes, des artefacts, des cuisines, des arts, des économies, des manières, des énergies… Cela permet de prendre le pouls d’un lieu et puis c’est une véritable mine d’or.
J’ai aussi rencontré des ami·es de la Ferme en passant par des associations locales avec qui la Ferme du Buisson entretient déjà des relations, et notamment grâce à Agnès Siffre du collectif Elle Demande, Droit de cité(r) et du collectif Rom’Europe qui m’a introduite à de nombreuses personnes du territoire, elle a été d’une précieuse présence.
J’ai grâce à elle pu rencontrer beaucoup de Noisieliennes engagées, aux parcours de vie très différents, qui m’ont inspiré et qui auront vraiment nourri mon travail et ma réflexion. Elles sont les âmes et les mères de Noisiel, telles qu’elles sont figurées dans l’exposition.
Il y a aussi Hubert Marot, qui est à la fois un ami et un camarade associatif d’Agnès notamment au sein du collectif Rom’Europe qui m’a généreusement accompagné et partagé beaucoup sur son travail. Grâce à lui j’ai fait la rencontre de Carmen Gingioveanu et sa maman Gabi Maria Nicolae.
__ La population a-t-elle été réceptive ?
Oui, les rencontres se sont faites de manière intuitive, sans aucune réticence. J’ai pu rencontrer des personnes, comprendre leurs histoires, leurs parcours et leur lien à Noisiel, qu’il s’agisse d’un lien de travail, d’un lien de famille, d’un lien de cœur, ou d’exil, pour en extraire quelques objets, quelques amulettes possibles.
Par exemple, pour Platz, avec Carmen et Gabi, ça a été un moment mémorable. Elles avaient déniché plusieurs tapis qu’elles avaient apporté à la Ferme du Buisson. Nous nous sommes retrouvées entre femmes un dimanche dans la cour de la Ferme, à découper, assembler, broder, rire, fumer des cigarettes et avons appris à nous connaitre tout en mettant les mains à la pâte. C’était beau, et riche, ce sont exactement ce genre de moments qui me font aimer ce que je fais et qui donnent du sens à mon travail. Carmen et Gabi sont de vraies brodeuses, elles ont fait ça toute leur vie en Roumanie, elles me racontaient qu’elles allaient chez des particuliers pour faire des retouches textiles ou pour réaliser des créations sur mesure.
Ce n’était pas une mince affaire car nous avions à travailler avec ce que nous avions sous la main. J’ai appris grâce à elles de nombreuses techniques de broderie traditionnelle roumaine, et nous étions fières de l’ouvrage réalisé, de plus le patchwork reprend des couleurs, des fils, des modes d’ornements uniques avec des matériaux industriels récupérés qui n’ont rien à voir avec les traditions que nous invoquions. Nous étions heureuses de pouvoir à ce moment-là partager nos savoirs dans un autre contexte et d’en faire un travail collectif.
__ Les 22 et 23 janvier 2022, il y aura une « activation des œuvres », pouvez-vous nous en dire plus ?
Comme toutes les pièces ont la fonction d’amulettes, il s’agit de les activer collectivement, de les faire parler dans l’espace public. C’est aussi l’occasion de se rencontrer et d’échanger nouvellement en présence des personnes ayant contribué à leurs façonnements.
Les différentes activations donneront lieu au balisage collectif d’un jardin symbolique sur la friche de l’ancienne chocolaterie, à un moment convivial autour d’un thé pour rejouer un rituel de table inspiré des rencontres ayant pris lieu lors de tablées collectives. Les participants auront aussi l’occasion de pouvoir essayer « Stola » et « Deas Mater », le costume de cérémonie et la parure qui seront présentées au marché afin de pouvoir rencontrer les commerçants et artisans ayant contribué aux œuvres.
ven 21, sam 22 et dim 23 janv
activations des créations de Cynthia Montier
discussions, plantations, déjeuner avec l’artiste...