Anthropologue et artiste, votre travail mêle recherches scientifiques et arts plastiques. Comment cela s’articule dans l’exposition « Ujamaa » à la Ferme du Buisson ?
Je me sers de méthodes scientifiques pour explorer une thématique, ici l’histoire de la Tanzanie. L’art est le moyen d’expression que j’ai choisi pour partager mes recherches avec le plus grand nombre. Il y a la volonté de travailler avec des matériaux divers qui sont tous liés à des connaissances différentes, qu’elles soient factuelles, sensorielles, symboliques ou subjectives. Vidéos, installations sonores, histoires orales ou plantes sont pour moi des documents historiques au même titre que les textes officiels d’archives. J’aborde l’histoire avec une part de subjectivité, en y introduisant de la fiction. Chacun peut ainsi appréhender cette grande période de construction de la Tanzanie à sa manière.
Deux personnages, Kinjeketile, guérisseur qui a instigué la révolte Maji-Maji en 1905, et Julius Nyerere, président fondateur du socialisme Ujamaa, occupent une place centrale. Laquelle ?
Mon but n’est pas de rendre hommage à ces deux hommes, même s’ils ont joué un rôle important dans l’histoire de la Tanzanie. Je souhaite plutôt explorer ce qu’ils ont apporté à un moment donné, à un endroit spécifique, en tant que moteur d’espoir pour un nouvel ordre social. Bien que leurs projets aient échoué, je scrute cette impulsion, présente dans le pays à différents moments. Je m’intéresse au fait de croire, à ce dont l’être humain a besoin pour créer quelque chose de nouveau. Cela va des croyances spirituelles et religieuses, dans le cas de Kinjeketile, aux croyances politiques et idéologiques, pour Julius Nyerere par exemple.
Les plantes sont souvent présentes dans votre travail, faisant référence à des archives. Pourquoi sont-elles exposées seules ici ?
Toutes les plantes regroupées dans l’installation Nursery portent en elles des histoires différentes, toutes liées à un type de résistance. Il n’y a pas de textes qui les accompagnent, les visiteurs doivent demander aux médiatrices de raconter leurs histoires. Cette transmission par l’oral est importante pour moi, car beaucoup d’informations sont historiquement délivrées ainsi, de générations en générations, avant d’être retranscrites. Les plantes sont porteuses d’histoires et il faut en prendre soin pour les faire vivre. Je souhaite donner voix à des histoires en marge de l’Histoire officielle.