Décor et protagonistes
Dans le Caravansérail, il ne fait pas chaud : pas facile de travailler dans une ferme, même pour les artistes ! Dès l’entrée, des sons étranges et telluriques proviennent de tous les recoins. Sur le plateau s’éparpillent papier, bâches en plastique, échafaudage, échelles, branches, essuie-glaces, rétroprojecteurs – cette vieille machine d’école – et même un lombric.
Tout autour, Philippe Dupuy et David Prudhomme (dessins), Arthur B. Gillette, Stephan Zimmerli et Vincent Talpaert – membres du groupe Moriarty – et Christophe L'Huillier (musique) ainsi qu’Emmanuel Matte (voix) animent ce joyeux bordel. Sans oublier Henri et Christophe, des fermiers techniciens pour épauler l’équipe artistique. Aux abonnés absents, Stanislas Carmont, comédien, et une chorale d’un collège de Magny-le-Hongre (77) également. Et avec tout ça, on fait quoi ?
De l’adaptation à la création
Au départ, la Ferme du Buisson a commandé à ces artistes d’adapter une œuvre connue, restée dans l’inconscient collectif.
« Arthur [B. Gillette] a voulu partir d’une bande son d’un film. En pensant à un film qui m’a marqué, j’ai relevé Brazil, notamment en écho avec les attentats. » Philippe Dupuy
Brazil, le film de Terry Gilliam, sorti en 1985 avec Robert De Niro notamment, raconte l’histoire d’un bureaucrate dans un monde rétro-futuriste totalitaire. Celui-ci se contente de son travail et de sa petite vie. Mais suite à une erreur administrative, son existence satisfaite est chamboulée. En tentant de réparer cette injustice, il doit lutter contre un système extrêmement contrôlé.
À partir de cette œuvre, Philippe Dupuy et Arthur B. Gillette souhaitent créer une relecture distanciée qui parle à notre société actuelle : dérives administratives, rapport à l’identité, méprises démocratiques…
« On souhaite s’interroger sur ce que nous propose la société d’aujourd’hui : est-ce qu’on y adhère ? Est-ce qu’on s’y oppose ? Comment imposer ces désirs qui peuvent être différents de ceux de la société ? Quitte à ce que ça fasse des dégâts. » Emmanuel Matte
Concert dessiné ou dessin musicalisé ?
Pour faire naître cet univers dystopique, les artistes mettent en place un dispositif scénographique original dans lequel la vidéo est abonnée absente. À la place, d’immenses rouleaux sont suspendus au plafond, laissant s’échapper 150 mètres de papier. Le dessin est un élément central de la narration. Papiers sonorisés, coups de crayons et pinceaux ébruités, on parle plutôt de dessin musicalisé que d’un concert dessiné ! Chaque représentation sera une performance originale, jamais identique.
« La marge d’improvisation est large, comme pour un concert, ce n’est jamais le même. Dès fois, ça prend, dès fois ça prend pas. Mais il y a une électricité qui passe ! » Arthur B. Gillette
Comme l’explique Philippe Dupuy, travailler avec un autre artiste sur scène, ça inspire des pratiques différentes. Chacun reprend des postures, des inspirations ou des idées de l’autre. Il avait notamment pu l’expérimenter lors de sa précédente création à la Ferme du Buisson, Billy The Kid I Love You, présentée au PULP Festival 2016, où il partageait le plateau avec la dessinatrice Fanny Michaelis et le musicien Rodolphe Burger.
Depuis leur premier jour de résidence en décembre à la Ferme du Buisson, l’équipe a avancé, mais des zones d’ombres subsistent encore. Contrairement à la version originale de Brazil, les artistes souhaitent ajouter des touches d’humour et ouvrir l’histoire à une possible renaissance. Spirituel, sachant que le spectacle est présenté la veille du premier tour des élections présidentielles, non ?